2023
Bois de rose : volé au Cameroun, blanchi au Nigeria, expédié en Chine
Entry type: Single project
Country/area: Cameroon
Publishing organisation: The MUSEBA Project
Organisation size: Small
Publication date: 2022-01-28
Language: French
Authors: Christian LOCKA

Biography:
Christian Locka, is an award winning freelance reporter of Cameroon nationality who exposes corruption, illicit finances, human rights abuses, and organized crime for a couple of years now. His work has appeared in established publications such as 100 Reporters, Washington times, public radio international, Usa Today. Locka is a former fellow of the Fund for Investigative Journalism(FIJ), the Investigative Reporters and Editors (IRE), the Pulitzer center Rainforest Investigations Network (RIN).Since 2019, he is the founder and CEO of the Museba project, a training and reporting news organization in central Africa. Museba is a GIJN member.
Project description:
Ces dernières années, des operateurs chinois à la recherche du bois de rose (Pterocarpus erinaceus) pour la fabrication des meubles de luxe se sont associés à des trafiquants locaux pour piller les forêts nigérianes.
Comme le bois de rose se raréfie dans les forêts nigérianes, des trafiquants, voulant continuer à satisfaire les demandes des Chinois coupent sans autorisation le bois de rose au Cameroun voisin en versant des pots-de-vin aux chefs traditionnels et fonctionnaires camerounais. Dès que le bois est sorti du Cameroun, ces trafiquants corrompent des autorités nigerianes pour changer l’origine du bois frauduleux avant son exportation en Chine.
Impact reached:
Après la publication de cette investigation, la Convention on International Trade in Endangered Species of Wild Fauna and Flora (CITES) a suspendu le commerce du bois de rose au Cameroun, comme vous pouvez le lire via ce lien: https://www.themusebaproject.org/impact/cites-suspends-cameroon-rosewood-trafficking/
Actuellement, une délégation du CITES travaille avec le gouvernement camerounais pour s’assurer que les mesures de protection du bois de rose sont efficaces sur le terrain avant de voir comment éventuellement lever la suspension, selon une de mes sources au ministère des forêts. “La réglementation sera plus dure contre les trafiquants locaux ou étrangers”, a déclaré cette source.
Cette investigation a également eu un impact sur les communautés. Des comités de vigilance de la forêt, constitués notamment de jeunes, ont été mis en place dans plusieurs villages. Ces comités de vigilance ont sensibilisé des chefs traditionnels qui prenaient de l’argent pour donner accès à la forêt aux trafiquants. Et ces comités font un travail de gardiennage. Par exemple, des journalistes travaillant pour la chaine de télévision turque (TRT) qui voulaient enquêter après mon investigation ont témoigné de la rigueur de ces comités de vigilance qui tenaient à savoir les motivations de cette présence.
Un autre impact important de cette investigation a été mon invitation à deux événements internationaux pour parler du trafic de bois de rose. D’abord en Octobre 2022 au festival Double Exposure à Washington aux Etats Unis, puis en Novembre à Johannesburg en Afrique du Sud où j’ai fait un exposé lors de la récente conférence africaine des journalistes d’investigation.
Techniques/technologies used:
Cette investigation s’est déroulée au Cameroun et au Nigeria pendant plusieurs mois. J’ai utilisé plusieurs techniques de collecte et de présentation de l’information. D’abord, j’ai fait des interviews et pris des images des communautés affectées au Cameroun y compris un témoignage audio d’un garde forestier condamné à des années de prison pour avoir aidé des trafiquants nigérians à se procurer du bois de rose. A ce niveau, j’ai aussi utilisé le GPS, googlemap, google street view pour la localisation exacte dans ces zones de forêt. A la frontière entre les deux pays, on retrouve des localités portant le même nom et il devient difficile de se repérer; c’est grâce à ces outils de précision que j’ai pu obtenir les données exactes.
Ensuite, j’ai utilisé la technique d’infiltration (undercover) pour rencontrer les trafiquants de bois de rose ainsi que leurs complices chinois, car ils étaient méfiants et ne faisaient pas confiance aux journalistes. D’ailleurs, un journaliste nigérian qui a été mon fixeur pendant a essayé d’approcher les trafiquants en se présentant comme journaliste, il a été repoussé. Il fallait que je change de stratégie pour arriver au résultat escompté. Aussi, ce journaliste fixeur me servait de guide, il traduisait en anglais les propos des trafiquants qui ne parlaient que la langue haoussa.
Enfin, l’article final comporte des cartes, des graphiques, un audio, des photos; Surtout, une visualisation dans l’article permet aux lecteurs de voir en images la route empruntée par les trafiquants partant de la forêt camerounaise jusqu’au port de Lagos au Nigeria d’où est exporté le bois de rose frauduleux.
Context about the project:
Cette investigation a failli connaitre une fin malheureuse parce que j’ai reçu des menaces verbales de certains trafiquants et une autorité appartenant au gouvernement local de Maiha, au Nigeria. Ils n’ont pas été contents que je sache leur proximité. J’étais d’autant plus apeuré sachant que certains trafiquants utilisaient des tronçonneuses, d’armes blanches et à feu lorsqu’ils se rendaient au Cameroun pour couper illégalement le bois de rose. Bien plus, ils m’avaient avoué avoir coupé le bois dans des secteurs contrôlés par la secte islamiste Boko Haram et qu’ils n’avaient peur de rien.
Après la publication de l’investigation, tout était redevenu calme. Au Cameroun, l’accès aux données officielles a été incroyablement difficile car aucun fonctionnaire du ministère des forêts approché ne voulait se prononcer. Mais, les mêmes qui refusaient de me parler m’ont appelé après la décision de CITES de suspendre le commerce de bois de rose pour me féliciter et m’annoncer qu’ils travaillent avec le groupe du CITES pour se conformer. C’est grâce à des outils comme Global Forest watch, World Resources Institute, que j’ai pu avoir des données récentes sur la déforestation au Cameroun.
Par ailleurs, grâce à l’équipe d’experts en journalisme de données du centre Pulitzer, j’ai été formé pendant des mois sur l’utilisation des technologies innovantes comme la visualisation des données et son apport a été important à la publication de l’histoire.
What can other journalists learn from this project?
Si cette investigation a eu un impact aussi important, c’est parce qu’elle a été bien conçue dès le départ. Tout part d’une vidéo sur les réseaux sociaux présentant des villageois qui se plaignent de ce que des inconnus coupent nuitamment le bois de rose dans leur village puis ils prennent la fuite. Ces villageois utilisent les feuilles du bois de rose pour nourrir les animaux, et se soigner contre certaines maladies. J’ai dépêché sur place un membre de mon équipe pour savoir ce qui se passe réellement dans ce village du Nord Cameroun. C’est après cette recherche préliminaire que j’ai décidé d’investiguer sur le trafic transfrontalier du bois de rose. Les confrères devraient retenir l’approche utilisée pour dénicher une histoire sous évaluée. La question était de savoir comment fonctionne ce trafic, qui sont les profiteurs, quelles lois ont été violées, qui sont les victimes et pourquoi devrions nous nous en soucier?
Etant donné que c’est une histoire complexe, il était primordial d’utiliser et de bien présenter les données pour faciliter sa compréhension. Cela passe par la formation à l’utilisation des technologies innovantes. Outre les données, l’histoire a été rendue digeste avec des photos, audio, visualisation.
Ensuite, les confrères doivent faire montre de courage et prendre des mesures appropriées pour leur sécurité physique et digitale parce que lorsqu’on traite avec des trafiquants tout peut arriver à tout moment.
Enfin , personnellement, je suis toujours préoccupé à bien faire mon travail et savoir que le produit final a eu un tel impact signifie qu’on a contribué au changement des choses de près ou de loin.
Project links:
https://africauncensored.online/timber-logging-and-crime/